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1Le retour, la gouvernance des migrations et la critique postcolonialeHistoriquement, la sociologie des migrations a défini le retour sous l’angle d’un avenir lointain, imaginaire, constamment différé par des migrants souvent venus dans le cadre de migrations de travail ou pour des études. Ce sujet de recherche a pris de l’ampleur dans les années 2000 et est indissociable de l’intérêt croissant des états européens pour le contrôle des mobilités africaines, notamment via la mise en place de politiques migratoires de plus en plus restrictives cherchant à contenir les migrants du Sud dans leurs pays d’origine et, en Europe, à expulser les personnes en situation de séjour irrégulier. Cela s’est traduit par des politiques en matière de « migration et de développement », qui ont conduit à la mise en place, dès les années 1990, de nombreux programmes de « transferts de compétences » des migrants envers leurs pays d’origine. Pour la République Démocratique du Congo (RDC), le Burundi et le Rwanda, c’est le programme « Migration pour le développement en Afrique » (MIDA) – Grands Lacs, développé par l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et instauré en 2001, qui fait office de programme central chargé de répondre au phénomène de la « fuite des cerveaux » à travers la mobilisation des ressources de la diaspora burundaise, congolaise et rwandaise. Ce programme vise également à mobiliser les transferts d’argent depuis la Belgique vers les anciennes colonies (Godin et al. 2015). La recherche sur le retour des migrants burundais, congolais et rwandais (lesdites premières générations) va alors se déployer essentiellement autour de trois axes thématiques : premièrement, les aspirations au retour et la concrétisation de ces retours ; deuxièmement, la réintégration des « retournées » dans leur (s) pays d’origine et les obstacles qu’ils/elles rencontrent ; et troisièmement, les politiques et programmes mis en place pour favoriser le retour (tant volontaire que forcé). Ces travaux qui cherchent à identifier les déterminants favorisant le retour des migrants, portent principalement sur les Congolais.A titre d’exemple, l’enquête démographique MAFE (Projet de recherche sur les migrations entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe) montre que les raisons sous-jacentes à la migration influencent, dès le départ, les aspirations au retour. Migrer dans le cadre d’un regroupement familial, pour des études ou pour des raisons politiques conduit à des aspirations ainsi différenciées au retour (Flahaux 2017, 2021). D’autres travaux vont s’intéresser à la réussite ou à l’échec des processus du retour et de la « réintégration » des Congolais.es, mais aussi aux motifs de ce retour. En l’occurrence, le manque de perspectives socio-professionnelles dans les pays européens, malgré un niveau de qualification élevé, lié aux discriminations raciales, ou encore une vision optimiste de l’économie congolaise incarnant « un pays d’opportunités » (Eriksson Baaz 2015, 23).L’exploration des modalités du retour conduit à mettre en avant l’importance du capital social. Cela concerne la capacité à réactiver et/ou à créer un réseau social au pays (Sagmo 2015) ou à organiser un retour qui se présente sous une forme dynamique fait de multiples allers-retours avant un éventuel retour « définitif ». Enfin, d’autres auteurs soulignent les possibles convergences entre les programmes de retour mis en place par l’OIM et les politiques mises en place par le gouvernement d’origine. C’est plus précisément le cas pour le Rwanda, où les opportunités de retour qu’offrent les programmes de développement permettent de contourner une “politisation” du retour dans la mesure où le retour s’organise en dehors de l’agenda politique du pays d’origine (Shindo 2012). Cela étant, si la capacité des diasporas à instrumentaliser le discours sur les migrant.e.s comme agent de développement pour leur pays d’origine a été mise en avant par la littérature, force est de constater le caractère normatif voire prescriptif du paradigme du développement.En effet, tel qu’il est actuellement pensé, le retour est fortement influencé par des organisations internationales dont l’approche en matière de migrations est conditionnée par le paradigme du développement lui-même déterminé par le contexte colonial (Kleist 2015). Comme le montrent bien Mayblin et Turner 2020, la migration est, dans la perspective du développement, quelque chose qui doit être “contenu”. Le paradigme du développement renvoie ainsi à une approche positive et normalisante qui vise à empêcher la migration sous ses formes de départ ou de retour. Pour ces auteurs, le langage académique de la migration et celui de la gouvernance des migrations sont profondément imbriqués. Cette imbrication a à voir avec l’historicité coloniale des états européens. Les institutions de « régulation » et de « contrôle » des mobilités extra-européennes ou du « sud » procèdent de catégories binaires héritées des grands partages coloniaux entre les métropoles et les colonies, les modernes et les non-modernes ou les primitifs, les états développés et les états sous-développés, les sud global et le nord global, les citoyens qui ont des droits et les réfugiés qui en sont privés, etc. (Mayblin et Turner 2020).Dans cette perspective coloniale, la migration est non seulement appréhendée par le seul biais des politiques d’immigration et d’intégration, mais également conçue comme un phénomène nouveau. La pensée postcoloniale/décoloniale appelle à rompre avec cette approche et à resituer la migration au regard de l’histoire longue de la présence africaine en Europe. Une histoire concomitante de la présence européenne en Afrique, de la mise en esclavage, de la colonisation et de migrations postcoloniales organisées ou non par les états européens. Pour pouvoir penser le retour de manière adéquate, Il faut le détacher des catégories indissociables du management des flux migratoires. Le retour pourrait alors être appréhendé comme un déplacement non seulement spatial, mais également politique, culturel et identitaire, indissociablement lié à l’histoire longue de l’espace afro-européen.2Les études transnationales au-delà de la conception réductrice du retour ?Les études transnationales ont tenté d’aller au-delà de la conception réductrice du retour, promue par les politiques de management des flux migratoires, en mettant notamment en évidence des processus de mobilité aboutissant à « être ici et là-bas », et en éclairant les mobilités organisées autour de pratiques culturelles, sociales, économiques et religieuses (i.e. Tarrius et Missaoui 1995 ; Levitt et Jaworsky 2007).Longtemps, la “seconde génération” (qui regroupe celles et ceux nés en Europe) a été absente de la littérature transnationale sur le retour. Actuellement, de plus en plus de recherches abordent cette question (i.e. Christou et King 2015 ; Vathi et King 2011 ; Van Geel et Mazzucato 2021). Ces travaux étudient le caractère plus ou moins temporaire de ces retours, ainsi que l’impact qu’ils peuvent avoir sur le sentiment d’appartenance, autant dans le pays de résidence que dans celui d’origine (Binaisa 2011). Plus que le retour chez soi, certains auteurs préfèrent employer le terme de « visites » pour décrire ces formes de mobilités, caractérisées par des allers et venues, entre l’Europe et le pays dont sont originaires les parents de ces secondes générations (Ogden et Mazzucato 2021). A la suite de ces auteurs, d’autres rappelleront que l’expérience d’une mobilité transnationale – la traversée des espaces, les rencontres, etc. – se traduit par une reconfiguration de l’identité et de l’engagement civique transnational (Horst 2018).Si la grille de lecture transnationale permet de sortir d’un dispositif spatial réducteur et normatif qui invisibilise toute une série de réalités sociales, elle privilégie néanmoins une approche « de l’ici et du maintenant » qui empêche de penser la question du retour dans la longue durée. Or, le changement d’échelle spatio-temporelle suppose un changement de régime épistémologique. Ce que nous développerons dans cet article à partir du point de vue des personnes d’ascendance congolaise et rwandaise nées et/ ou socialisées en Belgique, en faisant, notamment, dialoguer les études sur les migrations transnationales et les diasporas avec les Black studies.Cet article prend comme point de départ une relecture qualitative des résultats d’une enquête quantitative/qualitative à laquelle ont pris part deux des présents autrices et qui concluait au fait que le retour n’est pas véritablement une réalité pour la seconde génération. Cette enquête (Demart et al. 2017) constituait le tout premier monitoring socio-économique des Afro-descendants en Belgique et cherchait à questionner la variable postcoloniale1, d’un point de vue quantitatif, dans les parcours d’immigration et d’intégration des Afro-Belges. La perspective postcoloniale qui ne s’intéresserait pas seulement aux discours et pratiques des acteurs (les revendications postcoloniales/décoloniales, les pratiques transnationales) mais également à la manière dont nos catégories d’analyse conduisent à visibiliser ou invisibiliser certains phénomènes nous souhaitons ré-examiner la question du retour.Nous souhaitons procéder à ce nouvel examen en croisant les données qualitatives, produites dans le cadre de cette enquête, avec d’autres données récoltées lors d’enquêtes menées indépendamment dans les milieux congolais et rwandais de Belgique. Par ailleurs, l’analyse que nous proposons s’appuie sur un cadrage théorique élargi aux Black studies pour lesquelles le retour est une problématique inhérente aux déplacements des populations noires, depuis la traite. En effet, dans la perspective des Black studies, le retour vers l’Afrique des diasporas noires est une question ancienne qui, dans la tradition radicale noire s’énonce comme une forme d’émancipation face au constat de l’incapacité de l’occident à se dépouiller de sa négrophobie structurelle (Garvey 1924 ; Du Bois 1960). La tradition radicale noire montre que la question du retour se développe sur la longue durée et de manière transatlantique (Andrews 2018 ; Gilroy 1995 ; Fila-Bakabadio 2018 ; Guedj et Yala Kisukidi 2019) et qu’elle est indissociable de la manière dont l’émancipation raciale va être pensée, notamment par les mouvements panafricains et afrocentristes. Le retour est en cela indissociable d’une discussion plus large sur les conditions auxquelles l’africaness (africanité) participe de l’élaboration de la blackness (noirceur) dans des contextes d’oppression raciale caractérisés par la déshumanisation et l’exploitation des corps noirs. Pour les Black studies, la blackness est appréhendée comme une identité et une expérience qui renvoie à des histoires partagées, contestées et contingentes, ainsi qu’à des géographies diverses. La blackness est cependant bien plus qu’une identification raciale. Elle est une conscience historique et politique au travers de laquelle résistances et agentivités se déploient. La multidimensionnalité de la blackness (location, genre, sexualité, tonalité de la couleur de peau, etc.) se traduit dans la complexité des identifications : qui est noir, où et quand ? Également, dans les discussions relatives à la place de l’africanité dans cette élaboration d’une identité et d’une conscience noire en dehors du continent africain (Sefa Dei 2018).Dans ce cadre, le retour ne peut uniquement être appréhendé à partir d’un cadre temporel qui est celui-ci de l’« ici et maintenant » des politiques d’immigration et d’intégration, traduction d’une conception coloniale de la spatialité. En nous intéressant à ceux que l’on appelle les « secondes générations », celles qui n’ont pas “migré”, on souhaiterait montrer l’importance de repenser le retour à partir d’une temporalité longue. Un temporalité qui est celle des diasporas mais aussi celle des logiques individuelles et collectives d’identification aux origines.En plus de la discussion qui résume notre analyse, cet article est organisé en 4 parties. La première partie revient sur des considérations d’ordre méthodologique et épistémologique liées à l’invisibilité statistique de l’engagement de la deuxième génération dans les pratiques transnationales. C’est également dans cette première partie que nous évoquons l’importance de la question du retour au sein d’un groupe particulier, à l’intérieur de la deuxième génération, bien plus engagé que la moyenne dans la vie diasporique. La seconde partie aborde le retour – ou la tentative de retour – par incitation politique et, ou professionnelle, organisé par le pays d’origine et/ou soutenu par les réseaux sociaux transnationaux. La troisième partie propose de considérer le retour éducatif, à l’instigation des parents souhaitant instaurer un cadre parental dans un contexte transnational. Enfin, la quatrième partie aborde le retour aux sources qui peut – mais pas forcément – se concrétiser par des déplacements spatiaux ou relever de l’investissement des espaces diasporiques.3Considérations méthodologique et épistémologiques liées à l’invisibilité des pratiques transnationales des secondes générationsLa Belgique n’a pas organisé la venue des sujets coloniaux en métropole, qu’il s’agisse de la colonie (le Congo belge de 1908 à 1960 et, avant, l’État indépendant du Congo, propriété privée du roi Léopold ii de 1885 à 1908) ou des territoires sous mandats (le Rwanda-Urundi de 1923 à 1962). Les Congolais, et dans une moindre mesure les Rwandais et les Burundais présents en métropole avant les indépendances sont peu nombreux (étudiants, domestiques, marins…). Après les indépendances, la petite communauté africaine qui se forme est majoritairement congolaise et n’est pas organisée autour du besoin de de main d’œuvre de la Belgique qui s’adressera à d’autres pays (Italie, Turquie, Maroc…). Dès 1950-1960, des mobilités de retour ont donc lieu dans un contexte où la Belgique est pensée comme une sorte d’extension territoriale du Congo, du fait des liens coloniaux ; et où être réfugié et demandeur d’asile est facteur de stigmatisation au sein des milieux congolais (Tipo-Tipo Mayoyo 1995). Les retours s’effectuent essentiellement vers le Congo-Zaïre (les élites rentraient après quelques jours ou semaines, les collégiens à Noël, les étudiants en juin, etc.) (Begu, Flahaux et Nappa 2022). Du fait de la colonisation, la présence congolaise et rwandaise en Belgique est essentiellement associée à l’obtention de compétences et de qualifications, valorisables en Belgique, et non à un projet d’installation. La présence rwandaise et burundaise est encore plus limitée que celle congolaise. Les raisons de cette moindre présence ne sont pas encore identifiées mais on peut supposer que cela est dû à la démographie (moindre) de ces pays ainsi qu’à leur statut différencié dans l’espace colonial et donc postcolonial belgo-africain. A la fin des années 1980, l’immigration africaine, notamment congolaise, devient une réalité plus tangible. Elle s’est enrichie, dans les années 1990, par la venue de réfugiés rwandais puis burundais. C’est dans les années 2010 que la sédentarisation des populations noires africaines commence à être actée.L’enquête Pomcibe (Demart et al. 2017), qui a fourni les données quantitatives et une partie des données qualitatives sur lesquelles prend appui l’analyse ici présentée, a été menée auprès d’un échantillon représentatif constitué de 805 personnes, d’ascendance africaine, résidant en Belgique2. Les questionnaires ont été passés en face à face et principalement en français même si les participant.es avaient la possibilité de s’exprimer en néerlandais, anglais, lingala, kinyarwanda et kirundi. La grille d’entretien était structurée en 6 sections thématiques : la citoyenneté, le sentiment d’appartenance, les discriminations, les revendications, et les pratiques transnationales et le retour.L’enquête concluait au fait que le retour n’est pas véritablement une réalité statistique pour la seconde génération qui peut s’expliquer, comme énoncé précédemment, par un contexte migratoire restrictif et des contextes politiques et économiques (surtout dans le cas de la République Démocratique du Congo) pas toujours propices à des « retours effectifs ». Trois groupes d’âge étaient considérés : la 1ère génération ou génération 1 (née et socialisée en Afrique et ayant migré en Belgique à l’âge adulte), la génération 1.5 (née en Afrique et ayant migré en Belgique en bas âge) et la 2è génération ou génération 2 (née et socialisée en Belgique).L’enquête montrait que le projet de retour est souvent lointain : 39 % des personnes interviewées envisagent ce retour dans l’année ou les 5 ans à venir. L’intention d’installation dans le pays d’origine est plus forte chez la 1ère génération (30 %) que chez la génération 1.5 (17 %) ou la 2è génération (10 %). Elle est aussi plus forte chez celles et ceux qui ne sont pas originaires des anciennes colonies (36 % contre 19 % chez les Congolais, 21 % chez les Burundais et 15 % chez les Rwandais). Il faut préciser qu’en Belgique, les Afro-descendants et les Afro-descendantes qui ne sont pas originaires des anciennes colonies sont en moyenne arrivés plus récemment en Belgique. Cette intention de retour est aussi plus forte chez les étudiantes et étudiants, qui auraient donc plus tendance à percevoir le séjour en Belgique comme temporaire. Du point de vue des pratiques, 55 % de la 2è génération ont déjà fait une visite au pays d’origine (45 % de la génération 1.5). Les raisons pour lesquelles des personnes ne sont jamais allées dans leur pays d’origine depuis leur arrivée en Belgique ou depuis leur naissance renvoient prioritairement au manque de moyens, puis à l’instabilité du pays d’origine et enfin, au manque d’envie. Le manque de moyen est plus prononcé chez les personnes originaires du Congo (49 %) et des autres pays d’Afrique subsaharienne francophone (50 %), tandis que les Rwandaises (47 %) et les Burundaises (47 %) mentionnent en premier lieu l’instabilité du pays d’origine. Enfin, le manque d’envie ressort plus fortement chez les personnes originaires du Rwanda (23 %) à l’instar de la plus grande distance vis-à-vis du le pays d’origine qui ressort de l’enquête pour ce groupe, comparativement aux autres Afro-descendantes (24 %). Pour la deuxième génération, l’absence d’envie (41 %) et l’instabilité politique (37 %) comptent davantage que le manque de moyens (34 %). Des différences significatives avec la génération 1.5, ayant grandi en Afrique, sont ici à relever. Pour cette catégorie, en effet, le manque de moyens (42 %) est prioritaire au contraire de l’instabilité politique (23 %) et de l’absence d’envie (16 %).Si l’étude conclut que le retour est un phénomène mineur, les auteurs précisent toutefois l’engagement significatif des secondes générations (génération 1,5 et 2), dans des pratiques transnationales, notamment la lecture des médias du pays d’origine, l’envoi d’argent ou les appels. 49 % disent appeler une fois par mois ou plus au pays (12 % tous les jours : 15 % au moins une fois par semaine, 22 % au moins une fois par mois). Une fréquence qui est augmentée chez la génération 1.5 puisque 77 % appellent une fois par mois ou plus au pays (13 % tous les jours ; 32 % au moins une fois par semaine, 32 % au moins une fois par mois). Il est important de rappeler que le retour est ici saisi sous l’angle de l’intention d’installation, autrement dit d’un déplacement spatial et d’une (ré)intégration plus ou moins définitive à la société d’origine des personnes ou de leurs parents. Sur cette base, nous avons donc voulu voir ce que ne laissait pas percevoir ces données quantitatives mais que nous pressentions au départ d’autres études. Il nous semblait que d’autres formes de retour pouvaient être considérées et que notre conception du retour devait être élargie.Parallèlement à l’enquête quantitative, des entretiens semi-directifs approfondis avaient été menés avec des personnes nées ou socialisées en Belgique, âgés de 18 à 35 ans, d’ascendance congolaise, rwandaise et burundaise, et investies dans des organisations diasporiques (culture, langue, arts) et/ou des associations noires (antiracistes et décoloniales). De ces entretiens il ressortait que le pays d’origine était présent dans les engagements associatifs et que la question du retour se posait. Cela allait dans le sens d’autres données qualitatives récoltées, en dehors de cette recherche, dans la longue durée de nos recherches individuelles respectives, à l’occasion d’ethnographies réalisées entre 2004 et 2009 (Demart 2013 ; Demart et Bodeux 2013), dans les milieux associatifs, artistiques et politiques entre 2010 et 2022 (Demart 2020 ; Godin 2018, 2022), et dans les milieux rwandais associatifs, professionnels et politiques entre 2013 et 2020 (Nsengiyumva 2021).Nous nous sommes, dans un premier temps, attachés à mettre en commun toutes les données relevant du retour sans préjuger a priori d’une définition qui restreindrait notre analyse. Nous avons ensuite comparé, entre elles, les réponses des jeunes issues de la diaspora congolaise et celle rwandaise afin de voir dans quelle mesure les éléments de contextualisation socio-historique pouvaient permettre une définition, plus fine et plus à propos, du retour. Ce travail nous a amenés à discuter de la définition même de la “deuxième génération”, un terme souvent mobilisé pour parler des descendants des migrant.es. Cette acception, qui regroupe toutes celles et tous ceux qui sont né.es sur le sol des pays d’installation dans une même catégorie, donne l’illusion d’une homogénéité socio – démographique alors qu’elle renvoie, en pratique, à des profils très différents de personnes socialisées en Europe. La “seconde génération” peut, en effet, concerner des bébés comme des personnes ayant atteint la soixantaine. Autrement dit, l’immigration, qui ne procède pas par vagues distinctes qui feraient à ce que les « deuxièmes générations » soient forcément plus jeunes que les « premières ». Nous souscrivons ici à la réflexion de Sayad pour qui, « peuvent appartenir à des générations différentes, dans la mesure où ils ont été engendrés par des conditions sociales différentes, des hommes qui vivent simultanément dans le même temps, à la même époque » (1994, 158). L’hétérogénéité intrinsèque de la catégorie “seconde génération” renvoie donc aussi à de la diversité des formes de socialisation et d’identification. Nous distinguerons ainsi, dans cet article, la génération 1,5 (personnes arrivées en bas âge en Europe) de la génération 2 (personnes nées en Europe et qui n’ont pas vécu en Afrique). Bien que ce vocabulaire démographique soit relativement « froid » pour ne pas dire déshumanisant, il permet ici de questionner de manière plus fine les dynamiques sociales sous-jacentes aux identifications à la « blackness » et à l « africaness ».Concernant les générations 1,5 et 2, nous avons identifié trois formes, non exhaustives, de retour : le retour ou la tentative de retour par incitation politique et/ ou professionnelle, organisé par le pays d’origine par le biais de réseaux institutionnels et/ou familiaux ; le retour éducatif, à l’instigation des parents souhaitant instaurer un cadre parental dans un contexte transnational, et enfin le retour aux sources qui peut se concrétiser par des déplacements spatiaux ou relever de l’investissement des espaces diasporiques. Nous tenons à rappeler que ces formes de retour ne sont pas représentatives d’une population donnée et que notre analyse vise à saisir les tendances les plus saillantes.4Retours et tentatives de retour par incitations politiques et professionnellesDans les années 1990-2000, l’évidence des allers-retours s’affaiblit du fait de la précarisation des étudiants, de la venue de nouveaux profils de « migrants » et de l’insécurité socio-économique, politique ou encore militaire en RDC, au Rwanda et au Burundi. Néanmoins, le désir de retour se maintient chez la première génération d’hommes congolais diplômés. Durant la décennie 2010, le métier d’enseignant va connaître une revalorisation et certains hommes, ayant obtenu un doctorat en Belgique, vont pouvoir rentrer au pays pour travailler. Leur famille restant en Belgique, ils sont alors amenés à faire des allers-retours inscrivant la famille dans un « espace transnational » pouvant favoriser des mobilités familiales, dans les deux sens, pour les deux générations amenées à faire la “navette” entre les deux pays.Des retours associés à l’élaboration de réseaux transnationaux vont alors voir le jour autour des possibilités d’insertion professionnelle essentiellement dans la sphère politique, mais pas uniquement. Les Belgo-Rwandais et Belgo-Congolais des générations 1.5/2 ne sont pas tout à fait étrangers à ces réseaux. Dans les années 2010, on assiste à une mobilisation politique de cette génération, par la participation au débat politique congolais ou rwandais, mais aussi à diverses manifestations (marches de contestation, création de sites d’information, etc.). Ainsi, d’importantes mobilisations ont lieu en 2011 contre le report des élections par le gouvernement congolais, à l’initiative de mouvements que l’on appelle les « Combattants » (Demart et Bodeux 2013 ; Garbin et Godin 2013), composés de membres de la première et dans une moindre mesure des générations 1.5/2. Si dans le contexte congolais, la mobilisation politique peut déboucher sur des vas-et vient physiques, plus ou moins circonstanciés, les retours au sein la génération 1.5/2 de la diaspora rwandaise via le « politique » semblent plus définitifs. Les conflits ethniques, qui ont émaillé l’histoire du Rwanda et dont le sommet ultime est le génocide de 1994 sont alors mis en avant comme la raison principale de l’importance des identifications politico-ethniques qui jouent un rôle important dans les dynamiques de retour.La structuration ethnique de la diaspora rwandaise de Belgique – la DRB (la Diaspora rwandaise de Belgique), liée à l’ambassade du Rwanda et la plateforme de l’opposition offrent facilement des relais à la deuxième génération qui s’engage dans la démarche de retour. Pour Jeanne, étudiante de 22 ans, l’idée progressive de “retourner pour soutenir le pays” a été forgée par son investissement en diaspora : « Je ne savais même pas que la DRB existait. J’ai grandi loin de tout ça. Je savais que je venais du Rwanda mais sans plus. C’est après le génocide que je me suis intéressée et que je me suis dit que je devais faire quelque chose pour mon pays. C’est à l’université qu’une copine m’a mise en contact avec une dame de la DRB et c’est vraiment là-bas qu’on m’a appris ce qui s’était passé vraiment et l’importance de soutenir le pays et notre président pour que ça ne se reproduise plus. Maintenant je suis assez impliquée. Je cotise, je vais à des réunions, j’essaie d’expliquer tout ça à des amies belges et autres et d’inciter des copains rwandais à joindre la DRB. Bref, je me sens vraiment rwandaise maintenant même si je ne parle pas la langue ».Au sein de la diaspora congolaise de Belgique, les dynamiques de retour des générations 1,5 et 2 sont observables sous les mandats des présidents Joseph Kabila (2001-2018) et Félix Tshisekedi (2018 à ce jour). Ils s’opèrent par le biais de réseaux beaucoup plus informels et souvent familiaux. On peut citer l’exemple de Gilbert Kankonde nommé Vice-premier Ministre et ministre chargé de l’intérieur (2019-2021), mais aussi de l’ancien ministre de la Santé Ilunga (dernier gouvernement Kabila), qui était en diaspora pendant plusieurs années. Les mêmes logiques sont présentes au sein de la diaspora rwandaise de Belgique. Au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs belges d’origine rwandaise des générations 1, 1.5 et 2 sont des responsables politiques de haut rang au Rwanda. On peut citer Soraya Hakuziyaremye, l’ancienne ministre du commerce qui est actuellement la Vice-Gouverneure de la Banque Nationale rwandaise ou encore l’actuel Maire de Kigali, Pudence Rubingisa. Cependant, dans le contexte diasporique rwandais, on l’a dit, les démarches de retour sont encouragées et, parfois, activement soutenues par le pays d’origine. Pour l’ancien ambassadeur rwandais à Bruxelles, Robert Masozera, la puissance financière et l’influence politique que peut avoir la diaspora auprès des décideurs politiques occidentaux en sont les raisons principales. Dans cette idée et depuis 2010, le Gouvernement rwandais a créé le programme « Come and See ». Par ce programme, le gouvernement rwandais invite des Rwandais de l’extérieur à visiter le Rwanda tous frais payés et avec une sécurité assurée. D’autres avantages pécuniaires ont également été cités. En échange, ces derniers doivent faire la promotion du pouvoir rwandais. Par ailleurs et toujours concernant le Rwanda, l’obtention de la carte consulaire a été facilitée et le Gouvernement rwandais a créé un département spécial pour « la Diaspora ». Ce dernier a pour mission de courtiser les diasporas rwandaises et d’organiser les « Rwanda days », ces grandes messes annuelles que le dirigeant rwandais, le Président Kagame, tient à travers le monde et auxquelles sont conviées les Rwandaises et les Rwandais vivant en diaspora.Les retours et tentatives de retour par incitations politiques et professionnelles diffèrent selon l’agenda politique du pays d’origine et le discours identitaire qui peut l’accompagner. Ainsi, ces formes de retour peuvent être étroitement liées à « une politique de l’africanness » définie par l’ethnicité et, ou la classe sociale des parents.5Le retour comme dispositif éducatifIl existe une vaste littérature à propos des familles transnationales. Cependant, le recours à la famille transnationale (la mobilisation des liens de parenté de la famille élargie) dans les démarches de retour semble avoir été moins considéré. Pourtant, c’est une unité familiale tout à fait majeure pour appréhender les dynamiques de retour, en particulier sous l’angle d’un dispositif éducatif. Au cours de ces dernières années on a ainsi vu se développer une pratique éducative de renvoi au pays, des enfants dans les milieux africains subsahariens, notamment congolais, et dans une moindre mesure, rwandais tout à fait significative. Elle concerne des « jeunes » qui, arrivés à l’adolescence, manifestent des signes de déviances aux modèles éducatifs parentaux tels que le décrochage scolaire, les sorties nocturnes, les mauvaises fréquentations, voire la petite délinquance. Face à leur impuissance et à leur désarroi, les parents vont alors « bricoler » une solution éducative en envoyant, souvent à leur insu, les jeunes, au pays d’origine en vue d’un « recadrage ».Emmanuel et Evariste décideront d’envoyer leurs garçons à l’internat en Belgique. François sera, pour sa part, plus radical : « après trois ans de galère avec (son) fils de 15 ans, renvoyé de l’école et qui s’est retrouvé devant le juge de la jeunesse pour faits de violence », il envoie ce dernier au pays en lui faisant croire qu’il y va pour des vacances alors qu’il est bien décidé à l’y laisser « le temps qu’il comprenne ». L’idée est « de lui donner une leçon de vie de nature à le remettre dans le droit chemin ». Après l’avoir décrit comme « un fils indigne qui ne mesure pas la chance qu’il a de vivre en Europe et qui n’est pas reconnaissant des efforts consentis par ses parents pour l’y mettre à l’abri », François nous dit que son fils est, au moment de l’entretien, dans la campagne rwandaise, chez sa grand-mère – la mère de l’intéressé, « où il mène une vie dure dans une maison sans eau courante ni électricité, où il doit se lever très tôt pour aller puiser de l’eau à l’extérieur ». Ce « fils inconscient », selon les dires de François, devait passer une année scolaire complète au Rwanda, et dans les conditions décrites, pour qu’il revienne à la raison. Lorsque nous lui avons demandé s’il ne trouvait pas ce châtiment extrême, il nous a répondu que « les enfants d’Europe sont impossibles à éduquer – qu’il faut de la poigne pour les garder dans le droit chemin ».Le retour est ici imposé par la famille comme une ultime solution, lorsque tout a été tenté pour remettre son/ses enfants dans le droit chemin. Les parents se sentent impuissants face à un enfant qui ne respecte pas le cadre et les règles familiales. Face aussi, et peut-être surtout, à une société dont les normes et fonctionnements conduisent à diminuer, voire à inférioriser et situer en situation d’illégalité leur autorité en tant que parent.Cette infériorisation sociale articule plusieurs éléments : une infériorisation socio-économique et matérielle qui situe à la marge les jeunes en termes d’accès à la consommation et à la participation à des loisirs ( y compris dans le cadre des activités scolaires comme une classe de neige) ; une infériorisation sociale et culturelle des parents vis-à-vis des figures de l’autorité (l’école, l’administration, la police, etc.) ; une intériorisation “civilisationnelle” dans les interactions avec les services sociaux ou la police, lorsque le conflit parents-enfants est appréhendé par les institutions d’état comme l’expression de la culture opprimante des parents « africains » (refus d’accorder de la liberté, trop grande sévérité, étiquetage de la maltraitance face à des châtiments corporels, etc.) ou par les jeunes en comparaison de ce qu’ils perçoivent (ou idéalisent) de la culture européenne (blanche).Il est à cet égard significatif de relever dans le discours des parents la volonté de rompre avec les valeurs de l’occident entendu à la fois comme libérales, laxistes voire dépravées, et en même temps comme système raciste qui produit de manière structurelle des situations défavorables aux Afro-descendants (et infériorisant les Noirs en les considérant comme de grands enfants). Le discours des institutions (assistantes sociales en particulier) réprimant le cadrage parental au nom de la “liberté” et des droits du jeune adulte apparaît alors comme hypocrite voire comme l’expression d’un racisme systémique. Ce père de famille congolais venu au commissariat chercher sa fille qui voulait porter plainte pour violence, entend le policier souffler à cette dernière “de toute façon dans quelques mois vous avez 18 ans vous pouvez faire ce que vous voulez”. Il l’invective : “C’est mon enfant, je l’éduque comme bon me semble. Quand nos enfants sont dans la rue, vous dites que nous les Africains, on ne sait pas éduquer nos enfants. Et quand on les éduque, vous intervenez pour nous dire qu’on est violent, qu’on ne respecte pas les droits des enfants”.Le renvoi des jeunes au pays pour étudier dans un autre cadre familial (une tante, un oncle, etc.) est une mesure disciplinaire qui dans les entretiens que nous avons récoltés, s’avère efficace d’un point de vue scolaire et « comportemental ». Elle n’est pas seulement liée au fait que les parents reprennent le contrôle de l’autorité sur leurs adolescents, elle est aussi liée au repositionnement de la culture d’origine qui (re)devient la norme de référence. Les enfants peuvent rester plusieurs semaines ou des mois et parfois une à plusieurs années au pays. La plupart du temps, ils reviennent ensuite en Belgique, mais il arrive aussi que certains restent. Cette démarche est entamée avant que les jeunes n’atteignent leur majorité. Dans ce retour imposé, contraint, éducatif, il y a l’idée d’une « africaness réparatrice », qui remet sur le chemin ceux qui auraient déraillé en suivant une offre ambigüe d’assimilation.6Le retour aux sources : au pays d’origine, sur place ou au sein de la diasporaLe retour aux sources intervient à l’âge adulte au terme d’un parcours et d’une prise de conscience de ce que signifie être noir.e en Belgique et des dégâts en termes d’estime de soi que constitue la politique d’assimilation dans le contexte d’une société racialisée. Il commence sur place et peut se prolonger – ou non – spatialement.Par un retournement du stigmate (Goffman 1974), le retour aux origines s’énonce alors comme nécessaire pour ceux et celles qui réalisent avoir peu ou pas d’attaches avec leur pays d’origine, une connaissance approximative de la culture de leurs ascendants et qui ont parfois longtemps tenu à distance les milieux diasporiques ou toute forme d’identification pouvant les renvoyer à une africanité supposée. Ce retour aux sources est tout à la fois socio-culturel, esthétique, linguistique et politique. S’il peut se traduire par des séjours plus ou moins longs, et par des désirs d’installation, il s’opère aussi, et souvent, en amont d’un retour physique, par un retour aux « sources » sur place.Le mouvement Nappy (natural hair mouvement) cherche à (re)valoriser le corps noir et le cheveu naturel africain, crépu face à l’aliénation que produisent les diktats esthétiques blancs et qui ont pour effet la mise en danger des corps noirs d’un point de vue physique (produits toxiques) et ontologiques (haine ou mépris de soi). Le rejet de ces pratiques est expliqué comme une démarche de retour vers une authenticité noire qui fonde leur dignité. « On peut être belle sans être blanche » résumait ainsi Jeanine.Cette valorisation des origines chez les générations 1.5 et 2 peut aussi se traduire par un rapprochement avec la première génération et, ou par un investissement d’espaces diasporiques orientés autour de la transmission d’un patrimoine culturel, d’une mémoire ou de langues africaines. Dans les milieux rwandais, les danses folkloriques sont un espace privilégié d’entretien des traditions : plusieurs ballets existent et se produisent. Ils font la fierté de la culture rwandaise et de nombreux jeunes s’investissent aujourd’hui dans l’apprentissage de ces danses. Alors que les réseaux diasporiques rwandais sont davantage investis par la première génération autour d’associations culturelles et socio-politiques, on observe ces dernières années une participation croissante de la deuxième génération qui ne s’y était auparavant pas intéressée. Ainsi, les danses traditionnelles sont les plus investies notamment en raison de leur valeur esthétique, évaluée à travers le regard occidental (Nsengiyumva, 2021).Dans les milieux congolais, ce retour aux sources a, dès les années 1990, été lié au constat des souffrances identitaires qu’engendre la vie des Noir.es en Belgique et à la prise en charge communautaire du phénomène des bandes urbaines avec l’Observatoire Ba YaYa. L’association développe la thèse selon laquelle le jeune noir développe un mépris voire une haine de soi dans le regard blanc posé sur lui (école, médias, etc.). Ce qui l’amène à se faire violence à travers son alter égo. L’impossibilité du retour, pour des raisons juridiques et économiques, est par ailleurs mise en avant comme un élément de contextualisation de la production de cette souffrance identitaire (Manço, Robert et Kalonji 2013).L’association met en place des cours/écoles visant à enseigner l’histoire de l’Afrique et de la colonisation. Des initiatives qui vont essaimer au niveau associatif et diasporique avec la montée des revendications concernant l’éducation (l’enseignement de l’histoire coloniale et de l’Afrique), la décolonisation de l’espace public (changement des noms de rues, déboulonnement et contextualisation des monuments coloniaux, ajout de héros africains, etc.) et les commémorations (rôle des colonies pendant les deux guerres mondiales, etc.).C’est aussi le développement de cours de langues (kinyarwanda, lingala/kiswahili/kikongo, tshiluba notamment) et d’histoires de l’Afrique et l’investissement des espaces diasporiques pensés et animés par les parents pour le maintien des liens avec le pays et de la culture d’origine. Dans les milieux congolais et rwandais, il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre les “jeunes” se plaindre du fait que leurs parents ne leur ont pas enseigné leur langue parce qu’ils craignaient de les “embrouiller” et que le français (à Bruxelles essentiellement) a été principalement leur langue d’éducation. A cet égard, les politiques d’appellation sont intéressantes. On observe des changements de prénom ou de nom, ou le choix de noms de famille africains pour les enfants par la génération 1.5/2. Alors que pendant tout un temps les noms africains pouvaient être, quand cela était possible (à la faveur d’un nom belge par exemple) invisibilisés, ils sont à présent mis en valeur.Enfin, ce sont aussi les espaces créés par la génération 1.5/2 elles-mêmes qui revendiquent une identification afro-européenne et la nécessité d’un retour aux sources face au racisme systémique et à ses effets aliénants. Citons les espaces afroféministes, virtuels (blogs, etc.) ou physiques (conférence, ateliers) qui développent des savoirs et activités autour des généalogistes féministes en Afrique ou du soin capillaire en se référant parfois à des traditions qui ont été combattues ou ont survécu à l’entreprise coloniale. Emmanuelle Nsunda d’« Afrofeminism in progress » estime que les pratiques autour du cheveu crépu devraient être considérées comme un patrimoine culturel immatériel (2020). L’organisatrice Christelle Pandazyla quant à elle développe depuis des années des activités autour de l’entreprenariat africain avec l’« African Market » en faisant venir des artisans africains à destination du public diasporique de plus en plus demandeur de vêtements ou d’accessoires (sacs) et bijoux évoquant l’Afrique (tissus divers, wax, etc.). Plus récemment, elle a mis en place « le Monde de Jahi », du nom de son fils, et organise des activités pour enfants et bébés afro-descendants (jeux, contes, danses, lectures) avec des stands qui permettent d’acheter des livres ou jeux qui se réfèrent à la culture africaine ou diasporique. L’objectif est de déconstruire les stéréotypes et de construire de nouveaux discours et imaginaires. On pourrait aussi citer “Café Congo” qui met en visibilité les artistes congolais en Belgique quelles que soient leurs localisations ou “Congolisation” qui joue sur la contraction Congo-colonisation pour affirmer l’étendue de la culture congolaise en Belgique. Dans ces espaces culturels plus organisés, circulent les artistes du Congo vers la Belgique ou de la diaspora vers le Congo.D’autres formes de militantisme, témoins de l’intérêt pour le pays d’origine, peuvent également être vues comme des retours sous forme de mobilisation politique. C’est le cas de l’engagement pour la restitution des objets spoliés à travers la colonisation dont la campagne qui a été portée en Belgique par l’association “Bamko” (Demart 2020). On peut voir dans les mouvements pour le « retour » des objets spoliés, et plus généralement pour la réparation, une manière de repenser sa place dans la géographie et dans la généalogie africaine ou congolaise, dans un contexte où l’identité congolaise, celle rwandaise, voire l’appartenance à la nation belge peuvent être mises en cause ou comme dans le cas de Jeannine « le prix de l’intégration est trop élevé » ne se sentant ni de là-bas (au Rwanda) ni d’ici (en Belgique).Le retour aux sources s’organise et se vit également à travers les réseaux sociaux et l’espace virtuel en général. Il n’y a pas de parcours de retour, qu’il soit géographique ou sur place, qui, à un moment ou à un autre de son déroulement, se passe d’un recours à la toile. Pour les Belges d’ascendance rwandaise qui entament une démarche de retour, l’espace virtuel permet de s’informer et d’entrer en contact avec des personnes et des associations qui peuvent accompagner le mouvement de retour. Il permet aussi d’entretenir le sentiment de proximité avec la communauté diasporique et le Rwanda. Cet espace virtuel n’opère cependant pas à part. Les démarches qui s’y initient se poursuivent dans la vie concrète qui, également, y puise signifiants et informations (Nsengiyumva 2021). De par l’absence de frontières, particulière à l’espace virtuel, les sites internet et autres blogs – radio qui jouent un rôle important dans les démarches de retour des Belgo – rwandais ne sont pas uniquement basés en Belgique. Une Radio telle que “Itahuka” (qui signifie « retour ») et un blog tel que “Igihe”, respectivement, basés aux Etats – Unis et au Rwanda, sont très présents dans les dynamiques politiques de la diaspora rwandaise de Belgique. D’un autre côté, un blog-radio tel que “Ikondera” ou encore le blog “Jambonews” font réagir au-delà de la communauté rwandaise de Belgique bien qu’ils soient belgo-rwandais (Nsengiyumva 2021). Néanmoins, “rentrer par le virtuel” ne crée pas de nouvelles formes de retour différentes de celles que nous avons identifiées. Cette démarche prend part au parcours de retour comme levier important mais non suffisant.7DiscussionOn l’a dit, il ne s’agit pas ici de catégoriser de manière fixe et définitive des groupes par rapport à des pratiques de retour identifiées analytiquement à priori. Il s’agit plutôt de dégager des formes de retour sur la base de discours recueillis et de pratiques observées, dans un cadre ethnographique, à partir desquelles on peut requalifier la notion de retour. On voit que les générations 1.5/2 se nourrissent des réseaux et conceptions du retour de la première génération en même temps qu’ils ont à créer leurs propres liens, identitaires, linguistiques, culturels, politiques avec le pays d’origine. Plutôt que d’y voir uniquement un déplacement physique vers une terre d’origine, qui peut être empêché ou concrétisé, nous proposons de se focaliser sur ce qui sous-tend les processus de retour et les diverses directions vers lesquelles mènent ces processus. A rebours d’une approche normative définissant le retour comme un déplacement spatial et une installation plus ou moins définitive dans le pays d’origine, on a cherché à questionner la manière dont le retour fait sens, ce que cela engage en termes de pratiques et la manière dont le retour physique s’inscrit, ou pas, dans ce mouvement. A ce titre, il nous semble qu’un dialogue des études migratoires avec les Black studies soit nécessaire pour appréhender toute l’épaisseur des processus de retour, entendu ici comme l’ensemble des démarches, non nécessairement spatiales, de rapprochement avec les pays d’origine, des Belges d’ascendance congolaise, rwandais ou burundaise.En tant qu’ancienne métropole coloniale du Congo, du Rwanda et du Burundi, la Belgique a longtemps eu une position dominante dans l’espace des mobilités congolaises, rwandaises et burundaises. Cependant, la Belgique n’a jamais fait appel à ses anciennes colonies dans le cadre des politiques d’importation de main-d’œuvre. Il en a résulté une présence des sujets postcoloniaux longtemps considérée comme minoritaire d’un point de vue statistique, mais aussi comme temporaire. C’est seulement au tournant des années 1990 que des logiques d’installation se sont données à voir avec, dans certains cas, la perte du statut d’étudiant ou celui de demandeur d’asile venant modifier la réalité du retour, jusque-là relativement évident. Dès cette période, le thème du « retour empêché » devient prédominant dans la littérature consacrée au retour, en particulier en ce qui concerne l’immigration congolaise confrontée à l’effondrement socio-économique du grand Zaïre puis aux guerres dans l’est de la RDC (Tipo-Tipo Mayoyo 1995 ; Schoumaker et Schoonvaere 2014). Outre les difficultés socio-économiques dans les pays d’origine, c’est l’instabilité politico-militaire qui conduit à une sédentarisation des Congolais, des Burundais et Rwandais, ainsi qu’à une diversification du profil de migrantes, avec davantage de personnes quittant leur pays dans une optique d’installation durable en Europe. Le durcissement des conditions d’accès à la Belgique, et des conditions d’obtention d’un titre de séjour jouent également un rôle important dans la modification du rapport au retour. Non seulement le temps long d’obtention des papiers génère une logique d’installation, contrainte et précaire, mais le retour apparaît comme un piège pour une seconde migration présentant le risque de ne pouvoir revenir en Europe où la famille est le plus souvent installée (Schoumaker, Flahaux et Mangalu 2018). Dans ce contexte, le retour apparaît comme un phénomène mineur chez les premières générations et comme statistiquement invisibles chez les générations 1.5 et 2. Pourtant dans un dialogue avec les « diaspora studies » et les « Black studies », il nous semble qu’il est possible d’élargir cette notion de retour afin de rendre visible des phénomènes qui, sans cela, passeraient toujours sous le radar analytique.Depuis longtemps, les études diasporiques montrent bien que les géographies mémorielles, émotionnelles, culturelles ou religieuses associées au pays d’origine font l’objet de transmission (Bordes-Benayoun 2002) qui permettent, à minima, de s’interroger sur la manière dont les descendants en héritent. Le renouveau philosophique actuel dans les études noires ou la philosophie africana (Ribeiro et Yala Kisukidi 2021) montre la portée collective et existentielle de la question du « retour » dans des contextes postcoloniaux où les personnes noires sont confrontées à la violence des effets du mythe fondateur des politiques identitaires européennes : la blancheur. La fameuse phrase “tu viens d’où ?” que l’on retrouve dans tous les contextes européens symbolise ce renvoi permanent à l’origine quelle que soit la nationalité, le statut juridique, le lieu de vie, les langues parlées, etc. (Sayad 1994).8ConclusionC’est à l’intersection de la sociologie des migrations, des études sur les diasporas et des Black studies que nous avons souhaité problématiser le phénomène du “retour” du point de vue de la « seconde génération ». Nous avons voulu montrer que l’absence d’une prise en compte du temps long dans la discussion sur le retour, favorisée par la prééminence du paradigme normatif (des politiques d’immigration et de la coopération) et des études transnationales (qui rompent avec cette approche mais qui se focalise surtout sur les migrants ou transmigrants), conduit à une appréhension étriquée de ce phénomène.Nous avons ainsi identifié trois formes de retour : le retour ou la tentative de retour par incitation politique et, ou professionnelle, organisé par le pays d’origine et/ou soutenu par les réseaux sociaux transnationaux ; le retour éducatif, à l’instigation des parents souhaitant instaurer un cadre parental dans un contexte transnational, et enfin le retour aux sources qui peut – mais pas forcément – se concrétiser par des déplacements spatiaux ou relever de l’investissement des espaces diasporiques.Si la sphère professionnelle, en particulier dans les milieux politiques, constitue la forme de retour physique la plus évidente, elle n’est pas la seule, comme le montre la diversité des modalités de (re)connexion avec le pays d’origine. En outre, elle ne concerne pas uniquement la première génération. Qu’il s’agisse de répondre aux politiques du gouvernement rwandais ou d’activer des réseaux familiaux, on voit que les générations 1.5/2 situent elles aussi le retour comme une possibilité politico-professionnelle. De même, si l’envoi des enfants aux pays est un retour qui relève d’un dispositif éducatif pensé par les parents, il est intéressant de relever que les rationalités qui le sous-tendent se retrouvent en partie dans les aspirations plus tardives des jeunes qui veulent « rentrer » : “ne pas se comporter comme des blancs”, connaître des codes, des valeurs, parler de préférence une des langues locales, etc. Ce que les organisations diasporiques des deux générations cherchent précisément à transmettre. La place de l’« éducation à l’africaine, congolaise et rwandaise » est à cet égard intéressante puisqu’elle concerne et traverse les différentes formes de retour identifiées : que ce soit sous forme de pression des parents lors de leurs retours au pays, ou de bricolage d’un encadrement permettant la transmission de valeurs à ses enfants ou encore du capital symbolique. Autrement dit, il ne s’agit pas de processus figés. Les logiques sous-jacentes à ces dynamiques de retour peuvent être imbriquées et se renforcer.La catégorie « retour aux sources » vise à prendre de la distance avec des catégories qui relèvent de la gouvernance des migrations (le retour comme rapatriement, transfert de compétence, réinstallation chez soi). Elle signale en effet une aspiration à l’émancipation de l’oppression raciale qui fait écho à divers mouvements de la tradition radicale noire (le panafricanisme, le nationalisme noir ou l’afrocentricité). Il s’agirait bien sûr d’aller plus loin dans l’analyse de ce retour aux sources (différences entre générations 1.5/2, approches longitudinales, rôles des socialisations politiques et artistiques, etc.) de manière à interroger de manière plus fine ce qui fait retour. Si l’assignation à l’altérité raciale des personnes noires, ne pouvant être belges ou européens car constamment renvoyés à une supposée origine et identité africaine, a longtemps favorisé un discours basé sur la revendication d’une citoyenneté et identité européenne, loin des appartenances africaines, on assiste actuellement à un réinvestissement des identités et cultures africaines au travers de divers mouvements noirs : nappy, afroféminisme, écoles de langues, danses, etc. L’impasse identitaire qui en résulte peut donner à voir le retour comme une alternative évidente. Dans cette perspective, « faire retour » peut être appréhendé comme le prolongement d’un processus de prise de conscience et d’affirmation de sa blackness. Il peut s’agir de « retour sur place » donnant lieu à des processus de réappropriation identitaire et à des engagements politiques forts, on le voit particulièrement autour des questions liées à la restitution et à la réparation. Pour sa part, l’avènement de nouvelles localisations, qu’elles soient dans le Nord Global ou sur le continent africain mais dans un autre pays que celui d’origine s’apparente à des formes de « retour détournés ».Ces retours procèdent de démarches souvent individuelles favorisées par tout un tissu d’initiatives politiques, d’associations et de relais sociaux qui, sur le temps long, rendent possibles les différentes options de retour. Cependant, le retour s’inscrit en même temps dans une dynamique collective : comme une solution, une voie de recours des politiques de gestion des flux migratoires ou à la négrophobie structurelle de l’Europe qui ne reconnaît pas les Noirs comme de possibles “autochtones” en dépit des procédures de citoyenneté, de la contribution des colonies aux métropoles et surtout de l’inclusion historique des populations noires africaines par le biais de l’empire (Mbembe 2013 ; Bhambra et Narayan 2016). A l’échelle individuelle, les démarches de retour ne se présentent pas forcément de manière linéaire et prévisible a priori. Elles peuvent renvoyer à des tentatives, des essais – erreurs, des redéfinitions du projet de retour en fonction des circonstances. Le “retour” peut ainsi être défini comme un élan soutenu envers le pays, identifié comme étant celui d’origine pour la personne concernée, et qui se traduit par des actions de rapprochement avec celui-ci. Ces actions peuvent résulter en un retour spatial, une proximité avec la communauté diasporique, un intérêt accru pour la culture, l’histoire ou l’actualité de ce pays, ou encore se traduire par un régime de circulation qui permet à la personne d’habiter l’ici et le là-bas.
African Diaspora – Brill
Published: Nov 29, 2022
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